Zones de la forme
Objectifs :
Nous avons établi la structure sociale initiale des habitant·es, puis l'avons modifiée. Le groupe connait son système interne, son régime de parole, décisionnel, de gestion de conflits, etc. Je croyais dans ce dernier chapitre qu’iels devaient construire le village ensemble. Après l’analyse de la structure d’un groupe et l’établissement de sa forme par le langage, une partie de mise en pratique, de mise en image me semblait nécessaire. Ce pôle est celui de la création, mais il ne va pas passer par une matérialisation du village. Car le récit déployé sur ce site est aussi une expérience personnelle qui interroge la place que l’on choisit d’avoir au sein d’un groupe à visée créatives, ce chapitre permet alors de transformer le récit de la construction en expérience partageable.
Dans cette partie, on admet que tout ce qui vient de se passer est une fiction. On avait besoin de la fiction. On en avait besoin pour formuler une utopie. C’est le principe de la narration spéculative.

Qu’est-ce qu’une utopie ? Le CNRTL propose plusieurs définitions : 1) plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale, qui réaliserait le bonheur de chacun·e ; 2) système de conceptions idéalistes des rapports entre l’être humain et la société, qui s’oppose à la réalité présente et travaille à sa modification ; 3) idées qui participent à la conception générale d’une société future idéale à construire, généralement jugées chimériques, car ne tenant pas compte des réalités ; 4) ouvrage qui conceptualise une société idéale à construire ; 5) ce qui appartient au domaine du rêve, de l’irréalisable. Notons que les notions de rêves, d’alternatives fictives de sociétés, de déconstruction par l’imaginaire apparaissent comme les dénominateurs communs à toutes ces définitions. Avec le langage et l’expression des subjectivités comme outils, les habitant·es du Village Potentiel fantasment la société et les règles dans lesquelles iels souhaitent évoluer. La narration spéculative apparaît alors comme le moyen de donner une forme à l’utopie.

Pourquoi a-t-on besoin d’une utopie ? Parce que cela s’oppose au désenchantement de nos imaginaires et que c’est avant tout un principe d’espérance et de création collective. Rappelons-nous ici que le village tout entier illustre les systèmes de collectifs. Alors l’utopie c’est une forme fictionnelle résonnant avec l’envie d’écrire à propos des mécanismes de co-création.

Comment rendre compte de la mise en place de cet espace partagé ? Nous pouvons tenter d’établir un parallèle avec des systèmes de jeux. Le jeu se présente comme un espace commun dans lequel les joueureuses acceptent d’entrer par le biais des règles. De même, les habitantes entrent dans la construction du village en acceptant de mettre à l’épreuve les règles qui y sont préétablies. Faisons un pas de recul pour tenter de distinguer ce qui se joue dans le récit de la construction du village et qui pourrait devenir une forme partageable. On admet également que le village est une allégorie du travail artistique en collectif. Voici le schéma qui articule utopie, co-création, espace commun et jeux.
Le village potentiel devient un jeu de rôle qui est à la fois une manière de partager l’expérience qui s’est déroulée et une invitation à se projeter soi-même dans la fiction d’une utopie de travail collectif. Nous pouvons maintenant extraire de l’expérience les lignes de force/les étapes de sa construction en vue de l’élaboration d’un jeu de rôle.
Étape 4 : La création d’une forme partageable

a) Remettre au clair les étapes par lesquelles le groupe est passé. Chaque joueureuse parle de son sentiment vis-à-vis de l’expérience de jeu.

b) Décider de la forme que prend l’expérience de jeu pour produire une forme partageable, c’est à dire, un « objet » co-créé qui peut se montrer à un (des) public(s).

c) Selon la volonté des joueureuses, se lancer dans la réalisation.

But du jeu :
Mettre en place un espace commun créatif, co-construire un « objet ».

Tension du jeu :
Friction entre intérêts collectifs et intérêts personnels.

Enjeu :
Trouver sa place dans le collectif.

Les annonces du panneau d’affichage ne constituent pas les règles définitives du jeu. En effet, ces dernières se révèlent encore trop denses et doivent être reprises. C’est pourquoi le site internet s’arrête ici. La forme partageable sort de l’espace numérique et je vous invite à consulter la boîte de jeu.

Précisons le schéma ci-dessus : l’opération qui permet de passer de l’utopie à la co-création c’est la fabrication de récits ou de règles qui apparaissent comme des idéaux communs. La formulation de ces règles devient un principe de création collective. La suite se déroule de manière plus logique, si un groupe est doté d’une idéologie partagée, cette dernière naît dans l’espace du langage. Les membres du groupe se racontent les principes qui vont être les leurs, en les racontant iels les assimilent. La transmission orale qui a lieu devient alors, le premier espace commun. Le moteur du collectif c’est l’endroit où se déploie la parole. C’est précisément grâce aux rouages activés par la transmission orale que nous pouvons glisser sur la notion de jeux. Un jeu c’est à la fois une formulation de règle et une mémoire de schémas d’action. Aux jeux correspondent les récits de parties (à noter que ce site révèle l’histoire du jeu pour construire un village). À l’intérieur de ces derniers demeurent des mémoires des cultures. C’est que Michel de Certeau définit comme un art de dire populaire.

Dans le cas présent, si le site devient un jeu, cela offre la possibilité d’exporter, d’élargir l’expérience qui a eu lieu. Cela permet d’en rendre compte de manière inclusive, c’est à dire, en ménageant une place nouvelle pour lia regardeureuse qui n’a pas participé à l’expérience collective. Cela donne l’occasion de réemployer une opération héritée des transmissions orales, plus une chose est racontée, plus son corps change, s’adapte et mute.
Déroulement :
Étape 1 : Mise en place

a) Définir les cartes personnages-habiant·es. Il ne s’agit pas de quelqu’un·e sorti·e des imaginaires des participant·es. Lia personnage, c’est une version d’elleux-même dont certains traits sont grossis, exagérés. Trouver un nom et définir chaque carte en fonction : de l’état d’esprit, du rôle, du mode opératoire, de la spécialité. Terminer de les définir en rédigeant un court texte de présentation. Chaque joueureuse s’occupe de sa propre carte. Une carte peut représenter un ensemble de plusieurs personnes.

b) Les joueureuses forment un groupe. Décider de la nécessité à construire ce village. Cela constituera l’idéal commun.

Étape 2 : Définition du(es) corp(s)

a) Choisir une forme initiale pour le groupe et placer les corps des joueureuses à l'intérieur. Il s'agit d'imaginer une première représentation du groupe formé. Il peut prendre place dans n'importe quelle forme pourvu que celle-ci puisse se séparer en deux axes. Et que la jonction des deux définit le centre du groupe. L'axe vertical permet de distinguer les positions dont les actions se font en observation ou en réaction au groupe. L'axe horizontal distingue une position qui adopte un regard de surplomb, d'égalité, ou d'infériorité. Justifier l'endroit sur lequel chaque corps se positionne. Chaque joueureuse se place seul·e en expliquant son choix aux autres.

b) En fonction de la place que les individus adoptent à l'intérieur d'un groupe, Starwhalk définit des rôles. Les rôles sont attribués en fonction de la position individuelle par rapport au centre du groupe. Attribuez-les aux joueureuses. Une personne peut cumuler plusieurs rôles.

c) Analyser ce que produit la position cumulée au rôle de chacun·e dans le groupe. En déduire les rapports d'influences directes. Chaque joueureuse compte combien de personnes iel influence directement, cela représente le bonus d'influence directe. Ensuite, chacun·e calcul tous ses ratios d'influences indirectes, cela constitue le bonus d'influences indirectes. Additionner les deux bonus d'influences pour obtenir le ratio d'influence de chacun·e, permettant ainsi de mettre en place la structure hiérarchique du groupe.

Étape 3 : Le pouvoir créateur du langage

a) Analyser ce que la structure du groupe produit. Chaque joueureuse en fonction de la place qu’iel occupe pour l’instant dans la structure définit de manière individuelle quelles sont ses attentes personnelles. Chacun·e en fait part aux autres.

b) Organiser des discussions en groupes plus réduits en faisant se confronter les attentes qui ont l’air les plus opposées. Chaque petit groupe tente de mettre en évidence les thématiques qui sous-tendent leurs oppositions. Une fois les thématiques trouvées, tenter au sein de chaque sous-groupe de formuler une proposition qui résout le problème posé.

c) Le groupe se réunit à nouveau entier et tous les sous-groupes racontent leurs propositions. En fonction de ce qui se dit, remettre en perspective les propositions les unes avec les autres, rediscuter, ajuster puis établir une constitution.

Régions du langage